Volume 7 MTL: Bootlegger Magazine : promouvoir la culture underground montréalaise
Fondé en 2021 par Claire Lamarre-Niemi, Bootlegger Magazine a été créé pour offrir un espace aux artistes émergent⸱es de Montréal afin qu’iels puissent présenter leur travail sans restrictions. Bootlegger Magazine est un effort visant à valoriser la jeunesse créative au-delà des limites des institutions artistiques traditionnelles.
Guidé par une vision ludique, éclectique et contemporaine, le magazine travaille à présenter un ensemble d’oeuvres qui reste dynamiques. Bootlegger englobe une variété de styles et de médiums, en mettant l’accent sur ceux qui sont souvent négligés par les publications traditionnelles. De la peinture au nail art, en passant par les textiles, les tatouages, jusqu’au design graphique et à la céramique, Bootlegger prône l’inclusivité et la célébration, et vise à archiver le zeitgeist artistique actuel. Il immortalise le travail de jeunes talents prometteurs en dehors de leur confinement au monde numérique.
Le texte suivant est une transcription éditée d’une discussion qui a eu lieu dans le cadre du salon et conférence du livre d’art Volume 7 MTL, le 6 octobre 2024 à Montréal.
Orane Thibaud: En quelle année ça a commencé, cette aventure de Bootlegger?
Hind Saher: Le premier est sorti en 2022. Mais on a commencé à bâtir le projet en 2021.
Orane Thibaud: Est-ce que c’est un « projet Covid? »
Claire Lamarre-Niemi: Complètement. En gros, l’idée m’est venue parce que je ressentais une grande distance entre tout le monde. Et particulièrement chez les artistes ; ça m’a fait réaliser [que] je connaissais tellement d’artistes extraordinairement talentueux·ses qui n’avaient pas d’espace, que je ne voyaient pas ailleurs que sur Instagram.
Hind Saher : Qui ont aussi manqué beaucoup de jobs. Ce sont des artistes indépendant·es [dont] il y a beaucoup qui ont été coupés. Genre des graphistes qui créent des flyers d’évènements, il y en a plus. Donc, les gens se sont retrouvés beaucoup à utiliser les réseaux sociaux pour faire leur art.
Claire Lamarre-Niemi: Mais c’est pour ça aussi que c’était vraiment important pour nous de le faire physique. Sur Instagram, ça passe tellement vite. Donc de voir en format livre, je pense qu’on prend plus le temps de vraiment tout regarder puis de s’en souvenir.
Hind Saher: C’est aussi juste une opportunité un peu « officialisée. » Parce que [ces gens] n’ont pas nécessairement l’espace d’avoir une permanence ou de présenter leur art de façon matérielle dans les expos, vue que c’est des artistes plus « underground. »
Orane Thibault: Je pense que je voulais venir aussi aux origines de Bootlegger. Le projet, il a germé comment exactement ? Ça faisait-tu longtemps que tu pensais à ça?
Claire Lamarre-Niemi: Je travaillais à un restaurant. Pendant mon shift, l’idée m’est venue. Et j’ai terminé mon shift à peut-être une heure du matin, puis j’ai DM et texter tous les artistes que je connaissais immédiatement avec mon idée. Je suis la personne la plus impulsive et ADD sur terre. Je pense que j’ai contacté comme 175 personnes. C’est absolument ridicule. Juste voir qui voulait en faire partie, qui voulait faire de quoi. Tout le monde était tellement excité. J’avais tellement eu des belles et bonnes réponses.
Hind Saher: C’était vraiment un bon timing aussi parce qu’il y a eu genre le renouveau un peu qui se préparait, la fin du confinement qui commençait à s’avancer. Le premier lancement qu’on a fait c’était en mai 2022. Je pense c’était le même mois qu’ils ont enlevé le couvre-feu.
Claire Lamarre-Niemi: On était dans les premiers, si peu, le premier à Montréal genre magazine qui était plus accessible, qui était dans notre cercle, qui était été vraiment « focused » sur l’art visuel.
Hind Saher: Aussi c’était des médiums qui sont pas nécessairement considérés comme du « high art, » ou des médiums qui ont été mélangés qu’on ne voit pas souvent ensemble. Que soit un tattoo artist ou une maquilleuse…Ça les invite de donner un titre à leur œuvre, de parler de leur médium, de leur pratique.
Orane Thibaud: Vous avez parlé de votre projet éditorial d’immortaliser ce qui se passe dans le monde digital. Comment vous percevez ce mouvement là, cette jeunesse là qui fait de l’art à Montréal?
En fait, ma question commençait par vous personnellement. Est ce que vous êtes chroniquement en ligne?
Hind Saher: Absolument. J’ai découvert tellement d’artistes [et] tellement de médiums que je connaissais pas, que je n’avais pas pu connaître si je me base sur qu’est-ce qu’il y a à faire dans les institutions d’art à Montréal.
Claire Lamarre-Niemi: Very true. Je pense qu’ à travers l’internet, il y a vraiment moins de restrictions que les gens se laissent aller.
Hind Saher : Parce que tu peux trouver tes niches.
Claire Lamarre-Niemi: Puis malgré qu’il y a juste tellement de stock que c’est un petit peu difficile à gérer, j’ai l’impression des fois. Ou de sortir du lot.
Hind Saher : Je pense que ça a été une des valeurs, ou des motivations du magazine. Il y a des artistes, il y a des formes d’art, des styles ou des médiums qui se font juste principalement valider à travers Instagram. Ils peuvent avoir un gros « following, » ils peuvent avoir énormément d’engagement, pis des gens qui vont consommer leur art, mais qui ne trouvent pas nécessairement la place pour le traduire à la vraie vie.
Orane Thibaud: Mais par rapport à l’art underground montréalais, c’est quoi les lieux où est ce qu’on peut en trouver? Est-ce que c’est principalement en ligne, ou il y a d’autres lieux que vous cherchez de l’art?
Hind Saher: Moi, je trouve qu’il y a définitivement des sous-cultures, il y a des paquets d’endroits à Montréal où tu peux trouver ce que tu trouves en ligne.
Claire Lamarre-Niemi: Mais je pense qu’on a quand même inspiré, j’aime croire, un peu une vague de ré-émergence de magazine qui représente des arts visuels.
Hind Saher : C’est justement un médium qui était quasiment considéré rendu « obsolete. » Vue que maintenant tellement est beaucoup accessible en ligne, il n’y a pas souvent le besoin de l’avoir physiquement. Fait que la valeur de ça, c’était pour donner un format un peu plus traditionnel. Tu ne consomme pas dans la même façon. La curation c’est plus concentré des trucs spécifiques.
Orane Thibaud : Par rapport à ça, comment vous choisissez vos artistes?
Hind Saher: Ça a commencé avec des gens plus ou moins dans notre cercle sociale.
Claire Lamarre-Niemi: C’est sûr qu’il y a un fil conducteur à travers les esthétiques, mais c’est quand même vraiment important pour nous aussi d’avoir différents looks, d’avoir différents styles
Hind Saher: Des gens qui poussent un peu leur médium, qui ré-contextualise leur médium.
Orane Thibaud: Est-ce que c’est tous·tes des artistes qui viennent de Montréal?
Hind Saher: C’est des personnes [à qui] Montréal a été une partie intégrale de leur pratique, ou fait de l’art à Montréal à un moment.
Mais [dans le numéro trois,] c’est la première fois qu’on a « showcase » un artiste qui n’était pas de Montréal qui était de Toronto, parce qu’elle faisait un show à Montréal [qui] tombait le lendemain de notre lancement. Puis on voulait aussi donner l’opportunité de représenter les artistes qui sont pas juste visuel parce que c’est la limitation de faire un projet imprimé.
Orane Thibaud : Le côté underground, le côté aussi inexpérimenté, comment vous naviguez ça? Est-ce que vous allez des fois approcher des artistes qui sont plus connu·es?
Claire Lamarre-Niemi: Je pense qu’on a quand même un mélange, c’est sûr que le terme « underground » est vraiment important pour nous. Ça reste subjectif. Mais c’est la plupart d’elleux sont relativement méconnu·es. On est plus dans l’émergence.
Hind Saher: Parce qu’on représente particulièrement la jeunesse. Justement, l’aspect ludique, il y a des gens qui sont en train d’expérimenté avec leurs médiums.
Orane Thibaud: Vous vous positionnez où par rapport au monde institutionnalisé de l’art? Qu’est-ce qui ne vous semble pas reconnu assez dans le monde institutionnel de l’art auquel vous essayez de donner une plateforme avec Bootlegger ?
Hind Saher: Il y a tellement de médiums qui sont sous-représentés. On a de la reconnaissance à Montréal comme ville artistique, mais je ne pense pas que les ressources de la ville —
Claire Lamarre-Niemi: Ils sont vraiment limitées, de un. Mais tu le vois à Radio-Can et tout, les choix des artistes sont très concentrés, j’ai l’impression, dans des communautés francophones d’un certain âge, qui sont principalement blancs.
Hind Saher : Un gap générationnel aussi, je pense. Puis nous, qui ont grandi dans le monde digital, on a eu accès à beaucoup plus d’options d’art. Tu peux vraiment faire ton propre petit monde dans l’internet, versus, quand tu te limites juste à aller voir c’est quoi les expositions au musée des beaux-arts.
Claire Lamarre-Niemi : J’aimerais ça que les gens de notre âge soient en train d’essayer de faire des trucs différents puis d’ouvrir la conversation à comme, c’est quoi de l’art? C’est quoi les limites, des « bounderies » des médiums ? Puis qu’est qui est respecté, puis considéré comme « high art » ?
Orane Thibaud: Est-ce que vous trouvez ça important de représenter ce qui se passe présentement dans votre scène? Comment est-ce que vous décririez les arts qui sont en émergence ?
Claire Lamarre-Niemi: Je trouve que beaucoup de l’art est incroyablement référentiel, [surtout] au monde digital ; même mon art personnellement est référentiel de la culture populaire mélangée avec des « memes » — beaucoup de mélange.
Hind Saher: C’est une représentation authentique de ton « lived experience. »
Claire Lamarre-Niemi: Je trouve aussi que les gens ont beaucoup de fun avec l’art dernièrement. J’ai l’impression ça se prend vraiment moins au sérieux. Dans chaque édition, on a des jeux, ou on a fait un horoscope par année. Et je pense qu’on veut aussi juste explorer le médium. Comment qu’on peut pousser l’imprimé, qui semble parfois vraiment statique. Je pense qu’il y a des façons de l’explorer de façon originale.