Volume 7 MTL: Discussion sur Hector Hyppolite avec Frantz Voltaire
Frantz Voltaire est actuellement le président du Centre international de documentation et d’information haïtienne, caribéenne et afro-canadienne (CIDIHCA), qu’il a fondé en 1983. Tout au long de sa carrière, il a réalisé des documentaires et publiés des ouvrages et des articles sur l’histoire sur les communautés noires en Haïti et au Canada. Il est actuellement directeur de la Revue académique d’histoire haïtienne.
Ce qui suit est une transcription éditée d’une discussion entre Franz Voltaire et l’historien montréalais Louis Rastelli à propos du livre de Carlo A. Célius, Hector Hyppolite. Création plastique et autofiction, publié par le CIDIHCA France en 2023. Ce livre est la première monographie complète publiée sur l’ensemble de l’œuvre du peintre haïtien Hector Hyppolite.
Louis Rastelli: Je vais commencé pour l’audience à présenter Frantz Voltaire, cofondateur, du CIDIHCA à Montréal. Quasiment depuis le tout début, il y avait un aspect de publication ?
Frantz Voltaire: En fait, la publication a commencé en ’86 parce qu’avant il y avait une maison d’édition haïtienne, Nouvelle Optique. On a développé la section édition en ‘98. En ‘99, on a lancé les productions CIDIHCA avec un premier documentaire sur Port-au-Prince.
Effectivement, pour ses missions, le centre, c’était aussi de rassembler le patrimoine littéraire artistique haïtien. On a développé une très grande bibliothèque. Plus de 30 mille ouvrages. 40 ans plus tard, on a constitué des archives sur la communauté haïtienne de Montréal, essayant de récupérer affiches, tout ce type de ce qu’on peut appeler la «littérature grise.» Des feuillets, des documents qui n’étaient pas enregistrés, de même que des revues.
C’est un centre aussi qui travaille en partenariat — on travaille en partenariat avec [ARCMTL] — mais aussi avec la Maison d’Haïti et les autres centres, en essayant qu’ils conservent leurs archives, que tout ça permettant d’avoir peut-être une histoire culturelle plus complète de Montréal.
On a aussi développé des publications artistiques parce qu’on a une petite espace galerie. On expose des artistes, pas seulement haïtiennes, des artistes caribéens, des artistes latinos en fait, des fois des photographes. Donc voilà un peu en résumer le centre et son rôle dans la communauté, pas seulement haïtienne, mais la communauté montréalaise.
Louis Rastelli: Vous êtes aussi les meilleurs placés pour régler les oublis de l’histoire. Et là, c’est sûr que c’est déjà connu que Hector Hyppolite, depuis tel nombre de décennies est considéré un des grands peintres haïtiens, mais est-ce que je me trompe ou ce n’est pas le premier livre autoritaire, l’anthologie le plus complète sur son œuvre ?
Frantz Voltaire: Tout à fait parce qu’il y en a eu en anglais. Je dirais un « coffee-table book » donc des livres qui ont présenté ses tableaux, puisque ses tableaux figuraient dans les musées américains. Et il y a eu des expositions de quelques œuvres d’Hyppolite en France, actuellement d’ailleurs. À Boubou, il y a une des œuvres d’Hyppolite qui est exposée dans l’exposition sur les surréalistes.
Louis Rastelli: Oui, parce qu’il a été découvert par André Breton ?
Frantz Voltaire: André Breton arrive en Haïti en 1944 avec Wifredo Lam. Il découvre Hector Hyppolite, qui était un prêtre voodoo, qui avait quelques ouvrages et qui est découvert aussi avec la création du centre d’art. Le centre d’art, quand il est créé en Haïti, va permettre la rencontre entre des peintres qui ont une éducation plus formelle et plus contemporains et des peintres naïfs.
Et donc le centre d’art aujourd’hui encore est peut-être le centre le plus important qui existe encore en Haïti en termes de centre d’art.
Louis Rastelli: Je sais que c’était un défi de faire le livre sur Hector Hyppolite, vous avez commencé sûrement avec des archives et des images et des choses que vous aviez, mais vous avez vraiment réussi à aller trouver et photographier énormément. Si je ne me trompe pas, il y a une cent-trentaine de plaques, environ ?
Frantz Voltaire: Bon, c’était très coûteux, mais en même temps, on disait comment faire une monographie complète sur Hector Hyppolite sans présenter ses œuvres et ses œuvres en couleurs.
De même, on a dû acheter des photographies à la fondation Pierre Verger à Bahia. Il était un grand photographe qui avait documenté même la mort d’Hyppolite. Le musée nous a donné les droits.
Le plus difficile a été de retrouver les collectionneurs privés. Là où il n’y avait pas eu de photographies d’œuvre, il fallait photographier les œuvres par des photographes professionnels de telle façon que le livre soit illustré. Parce que c’est le genre d’ouvrage qui est fait pour 50 ans ou 40 ans.
Louis Rastelli: Je trouve curieux qu’André Breton aurait vu quelque chose de surréaliste [dans l’œuvre d’Hyppolite.] J’ai l’impression que c’est beaucoup de symbolisme.
Frantz Voltaire: Oui, en même temps, il faut comprendre Hector Hyppolite n’a pas de formation en peinture. C’est un peintre populaire. Il peignait dans son temple. Donc c’est quelqu’un que le centre d’art lui a donné la possibilité de pouvoir avoir une œuvre. D’ailleurs, qui a duré très peu de temps, puisqu’il meurt en ‘48.
Et les acquisitions ont été faites certaines en Haïti, mais la plupart par des musées américains.
Louis Rastelli: Mais c’est sûr que je disais, c’est qu’à l’époque, il en vendait beaucoup à des soldats américains, mais il [peingnait] avec des plumes de poule, sur carton. Jusqu’à temps que le centre d’art —
Frantz Voltaire: Oui, le centre arrive et leur fournit le matériel et permettent cette rencontre entre les peintres qui avaient une formation plus classique et les peintres dit naïfs. Mais qui ne sont pas aussi naïves qu’on le pense,
Louis Rastelli: Non, ce sont des peintures très riches en contenu, très expressives, très colorées aussi. Si un manque de raffinement technique, pour moi, ça importe pas parce que ça ne changera pas aucune de ses peintures au niveau de leur sens.
Frantz Voltaire: Tout à fait. Je reviendrai par exemple avec la visite de Malraux. André Malraux vient en Haïti. Il est en train d’écrire L’intemporel qui doit être présenté chez Gallimard. À Gallimard, il a dit «Arrêter la publication. Je veux un chapitre parce que je viens de découvrir un peuple de peintres.»
Effectivement, il va faire ouvrir une école en Haïti. Nous sommes dans les années 70. C’est l’école qu’on appelle le Saint-Soleil, qui a été l’œuvre d’un peintre que je dirais moderne haïtien, Garoute, dit «Tiga», qui lui-même a trouvé des peintres paysans. C’est un pays où la peinture est devenue le mode d’expression de la vie.
Louis Rastelli: Après son décès, est ce qu’Hector Hyppolite a été reconnu assez rapidement comme une figure importante? Ou c’est un peu à cause des citations de Breton ?
Frantz Voltaire: Cette visite de Malraux, mais aussi la visite d’André Breton et surtout puisque André Breton montre une exposition avec Wifredo Lam, le grand surréaliste cubain. Et donc là, l’œuvre est connue, mais je dirais que c’est récemment, avec des collections dans les musées, qu’on découvre l’importance d’Hector Hyppolite. Et de là, le travail de Carlo Célius.
Carlo Célius, il a fait un doctorat à l’université Laval. Et il travaille comme chercheur au CNRS. Et là, l’intérêt de Carlo, c’est qu’il n’est pas seulement un critique d’art, une analyste de l’art, mais il est aussi peintre. Et donc c’est intéressant parce qu’il donne une double perspective, celle du critique, mais celle aussi de l’artiste.
En fait, [ce livre] est la première étude de monographie systématique sur Hyppolite. C’est vraiment un travail qui ressemble à un catalogue raisonné.
Louis Rastelli: Est-ce qu’il y a intérêt par un éditeur anglophone ?
Frantz Voltaire: Tout à fait, tout à fait. On est en train de voir avec un traducteur anglophone. Afin pas seulement un traducteur, je dirai une maison d’édition anglophone.
Louis Rastelli: Je le souhaite surtout pour un expo. Et par la suite, je pense que ça peut juste donner une nouvelle vague d’intérêt.
Frantz Voltaire: Oui, c’est maintenant qu’on commence à découvrir ces œuvres. Par exemple, moi l’année dernière, je découvre un petit musée qui est à Waterloo, qui est à peut-être 2h 30 de Des Moines avec 3000 œuvres d’art haïtiens. Et là, ils ont un projet justement de documenter et d’archiver ces œuvres qui étaient dans un musée ou il y a des œuvres extraordinaires.
Ils ont même des Hyppolites aussi. Mais dans un petit musée et avec un centre universitaire où ils ont engagé une équipe pour travailler sur des catalogues raisonnés des œuvres qui sont dans les musées américains.
Louis Rastelli: C’est très bien et ça sera, j’espère aussi disponible en librairie.
Frantz Voltaire: Oui, c’est déjà disponible au CIDIHCA, mais c’est disponible en France et ça sera disponible bientôt dans les librairies à Montréal.
Louis Rastelli: Je te félicite pour le travail que je sais que tu as aussi mis dans tout ça.
Frantz Voltaire: Mais parce qu’on a fait un travail qui devrait durer. On a insisté, c’est un travail de plusieurs… presqu’une dizaine d’années de recherche
Louis Rastelli: Mais bien fait. C’était dû et je suis très heureux de pouvoir présenter ça à notre audience et aux adeptes du livre d’artiste. Merci Frantz.
Frantz Voltaire: Merci à toi.