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Volume 7 MTL: NoRoutine Books (Lithuanie) avec Michel Campeau (Qc)

05.11.2024

 

Dans le cadre de la sortie de leur livre The Lilliputian Presence of the Photographer in the Four-Colour World of the Postcard par Michel Campeau, qui a été publié le 4 octobre, une discussion était organisée avec les éditeurs ainsi qu’avec l’artiste.

Invités d’honneur de Volume 7, NoRoutine Books, originaires de Lituanie, est une initiative de publication indépendante dédiée à la conception et à l’impression de livres d’art uniques. Les publications sont limitées à 99 exemplaires, ce qui en fait des œuvres rares et précieuses pour les collectionneurs et les amateurs d’art. Chaque livre est soigneusement élaboré, alliant créativité et savoir-faire artisanal, et reflète une approche innovante de l’édition contemporaine.

Michel Campeau est un photographe et collectionneur canadien. Il est membre du Groupe d’action photographique aux côtés de Claire Beaugrand-Champagne, Gabor Szilasi, Roger Charbonneau et Pierre Gaudard. Il est passionné par la chambre noire et le tirage argentique.

Ce qui suit est une transcription éditée d’une conversation tenue dans le cadre du salon et conférence du livre d’art Volume 7 MTL, le 6 octobre 2024 à Montréal.

Vilma Samulionytė : Merci de nous recevoir. Et merci à Michel pour nous avoir permis de publier son livre comme nous le souhaitions, pour la liberté qu’il nous as donnée. Michel, nous nous sommes rencontrés il y a cinq ou six ans dans un beau festival, Rencontres de Gaspésie, autour de la photographie.

Puis, au début de l’année 2020, nous t’avons invité à Vilnius pour une exposition, mais la quarantaine est arrivée. Nous n’avons pas pu t’accueillir.

Mais nous avons organisé une exposition. Elle est restée accrochée pendant quelques mois et les gens ont pu voir, à travers les fenêtres, la magnifique exposition de Campeau sur la chambre noire.

Michel Campeau: Les gens ne pouvaient pas entrer à l’intérieur ?

Vilma Samulionytė: Non. Tous les centres d’art et les galeries étaient fermés. Mais il y avait des expositions, tu sais ? Il fallait les faire, parce qu’elles étaient prévues ! Les gens pouvaient voir la première salle et une partie de la deuxième salle à travers l’arche.

L’année dernière, nous nous sommes dit qu’il était peut-être temps que Michel vienne en Lituanie pour présenter son activité artistique.

Michel Campeau: J’ai participé l’année dernière à la conférence des photographes lituaniens à Nida, au nord de la Lituanie. Et je fais une présentation là-bas avec les artistes européens et la plupart lituaniens. Et voilà.

Louis Rastelli: C’était-tu ta première fois en Lituanie?

Michel Campeau: Absolument.

Vilma Samulionytė: Je pense qu’il est important de dire que NoRoutine Books est une plateforme d’édition très spéciale. Nous fêtons notre dixième anniversaire et nous avons publié 25 livres. Nous en publions parfois quatre, parfois un seul [par an].

Ils sont tous en édition limitée, à 99 exemplaires. Ils sont généralement numérotés et signés pour certaines éditions. Celle-ci a été magnifiquement réalisée par Gytis Skudzinskas. Comme Michel a intitulé le livre « The Lilliputian Presence of Photographer in the Four Color World of the Postcard » (La présence lilliputienne du photographe dans le monde quadrichromique de la carte postale), Gytis a utilisé les quatre couleurs, qui sont présentes dans le processus d’impression. Le cyan, le magenta, le jaune et le noir, ce qui, je pense, vous frappe dès l’ouverture du livre. Je pense que Michel a été un peu surpris par le rose. Il s’est dit « ça manquait dans vos livres ! »

Je vois cette série comme une série de cartes postales, mais il y a aussi une séquence de photographes, ce qui est le but de cette série. Je devrais te donner la parole pour que tu puisses continuer à parler des cartes postales, de la façon dont elles te sont parvenues, de l’endroit où tu les as trouvées, des raisons pour lesquelles tu les as trouvées, et de la façon dont tout cela est lié.

Michel Campeau: Il y a deux choses fondamentales. Premièrement, je viens des arts graphiques. Donc, je connais quand même les procédés de lithographie, même si j’étais un très mauvais étudiant et que je n’ai jamais rien compris véritablement à la notion de soustraction ou d’addition des couleurs. Et encore aujourd’hui.

Et ceci dit aussi une rencontre avec le travail, ou une portion du travail, d’un photographe que j’admire beaucoup en Europe qui avait travaillé avec des cartes postales aussi. […] Le premier ouvrage que j’ai découvert de Mathieu Pernot dans une vitrine à Paris, c’était un livre dans lequel il y avait ces photos et c’était vraiment un choc. C’était un rapport beaucoup plus sociologique qu’il avait à la photographie. Et je pense que cela a aiguillé quelque chose chez moi par rapport à mon champ d’intérêt qui était la culture matérielle de la photographie.

Le point de départ de tout ça, c’est les chambres noires. J’ai photographié ici à Montréal, au Québec et ailleurs dans le monde des chambres noires aux flashes. Et avec un appareil numérique. J’ai blasphémé, j’ai posé un acte de sacrilège dans les lieux de l’histoire de la photographie. Et à partir de ce moment-là, j’ai publié ce travail et j’ai toujours tiré le fil de ce projet. Exploiter davantage la notion, approfondir qu’est-ce que je pourrais créer dans cette notion de culture matérielle des chambres noires.

Et entre autres les cartes postales comme aujourd’hui, je travaille sur une collection d’archives de chambre noire. Je récidive pour la troisième fois un projet spécifique sur les chambres noires à partir d’une collection d’archives qu’un ami insomniaque me trouve sur ebay la nuit. Ou qu’une amie en France me trouve parce qu’elle fait les marchés aux puces ou les vides greniers et elle collectionne pour moi.

En fait, je reviens aux cartes postales parce que c’est fondamental de dire que je dois ce travail à un homme qui s’appelle Marcel Bienvenu, que j’ai rencontré dans un salon des papiers anciens, à qui j’ai parlé du projet. Il me revient quelque temps plus tard, il me dit « Bon et je vais acheter, je sais pas, un lot de 5000 cartes postales. » Et il me dit ensuite deux semaines, trois semaines, un mois plus tard, « Oh, j’en ai identifié une soixantaine avec des photographes. »

Wow. Ok. C’est comme ça que ça a commencé. Alors moi, je n’ai rien trouvé. Je n’ai pas trouvé une cristie de carte postale. La même façon que je n’ai pas trouvé une cristie de photographie d’archives de chambre noire. C’est la contribution des autres. Et la première chose que je vais faire en sortant du salon, c’est que je vais aller porter une copie à Marcel Bienvenue. C’est évident. Parce que son travail a enrichi mon travail.

En fait, je photographie plus. Je travaille plus des projets qui sont basés sur la prise de vue photographique, une thématique. Fondamentalement, je travaille dans l’immobilité, à partir de chez moi. Je pense qu’est ce qui pourrait advenir de mon travail ? Le dernier truc qui m’était venu il y a quelques semaines, c’est une collection de photographies sur des ânes. Et là, si j’embarque là-dedans.

Louis Rastelli: Anges?

Michel Campeau: Les ânes. Des donkeys! Parce qu’un de mes livres s’appelle « The Donkey that Became a Zebra. » Darkroom story, les histoires de chambres noires. Et pourquoi le livre s’appelle comme ça ? Parce que des amis à nous, ils sont venus un jour du Mexique et ils m’ont dit, « À Tijuana, ils déguisent des ânes en [zèbres], puis ils promènent des touristes là-dessus ! »

Pour ce qui est du livre de [NoRoutine], je l’ai découvert hier midi ce livre. C’est vrai. J’ai été amusé et ravi par cette invitation, que des gens puissent faire un livre à partir de mon travail. Les cartes postales et les fragments, j’ai tout envoyé. Et j’ai laissé aller. J’ai fait confiance parce que j’avais vu leur livre, je connaissais quand même leurs collections. J’aimais l’idée qu’un éditeur puisse faire quelque chose indépendamment de ma volonté.

Conversation entre (de gauche à droite) Vilma Samulionytė et Michel Campeau

Vilma Samulionytė: Oui, je vous ai déjà dit au début que nous étions très reconnaissants. Gytis n’a vraiment pas peur des tâches difficiles dans les livres. Vous pouvez voir comment il a vraiment pris le concept de l’impression en quadrichromie et comment il a découpé le livret jaune avec le texte, qui est également sérigraphié. Et il a coupé les pages […] à 15 % de l’angle – comment la trame est positionnée dans le processus d’impression en couleur. Il utilise ensuite les fils jaunes pour la reliure. Je pense qu’avec la liberté que vous lui avez laissée, il a pu aller jusqu’au bout de ces détails. Parfois, il se réveillait le matin et se disait : « Maintenant, je sais comment je vais faire ça ».

Michel Campeau: Mais je ressens son plaisir. Je ressens vraiment son plaisir à faire le livre.

Vilma Samulionytė : Normalement, c’est lui qui s’occupe de la conception du livre, mais parfois, lorsqu’il s’agit d’un projet plus important, avec un tirage plus important, plus d’argent en jeu, etc. Il arrive donc que l’on veuille faire les choses différemment.

Et je pense que dans cette publication, ou dans nos publications de livres NoRoutine, il aime vraiment exprimer son talent, tu sais ? C’est assez coûteux et difficile. Cela prend du temps, mais on est récompensé par une belle publication. Ces cartes postales existeront pour toujours, elles ne seront pas seulement scannées, numérisées et stockées quelque part.

Michel Campeau : Oui.

Louis Rastelli : Cela a donc commencé par une sélection de cartes postales, mais aussi par des fragments zoomés. Vous les avez donc numérisées, puis vous avez sélectionné des fragments et vous les avez tous envoyés ?

Vilma Samulionytė : Oui.

Michel Campeau : En 2019, j’ai présenté une exposition au Musée McCorde. J’ai exposé quatre grands tirages jet d’encre. Et j’ai mis en parallèle à proximité des œuvres l’original, des petites photos que j’ai fait encadrer. Pour montrer un peu le jeu. Parce que, fondamentalement, mon intérêt c’était le fragment. C’était la magnitude, de magnifier pas le pixel, mais la trame.

Donc moi, je recevais les cartes postages. Je regardais à la loupe, je m’avais fait un petit cadre, recadré, puis j’y allais un peu, tant bien que mal. Puis si ça n’allait pas, je recommençais à numériser, à faire le fragment. Tout ça. Moi, je l’ai renvoyé les 54 postales, 50 fragments. J’ai renvoyer un texte, un court texte de présentation dans lequel j’exprime les enjeux ou les origines du projet et le titre et quelques remerciements.

Mais la question que je voudrais poser concerne les autres artistes avec lesquels vous collaborez. Est-ce qu’ils vous ont donné des conseils ?

Vilma Samulionytė : Dans nos publications avec la plateforme d’édition, nous appelons cela « d’artiste à artiste “, c’est-à-dire que nous écoutons comment ils imaginent les choses et nous les conseillons en leur disant : « Peut-être comme ceci ». Une discussion s’engage.

Au début, il n’y avait que des artistes lituaniens. Nous les connaissons, nous aimons leur projet et nous pensons qu’il sera bien dans le livre. Et ils l’apprécient. Nous n’avons donc pas eu de conflit. D’une certaine manière, nous essayons d’être très amicaux et attentifs à tous les points de vue.

Louis Rastelli : Mais dans ce cas, il n’y a pas eu d’apport extérieur autre que celui du designer ?

Vilma Samulionytė : Dans ce cas, Gytis et moi, nous en discutions, et quand nous avions la disposition du bloc, nous l’envoyions à Michel, et Michel disait : « Oui, ça a l’air bien. »

Michel Campeau : Je n’avais jamais vu ça avant hier.

Vilma : Mais l’intérieur, je veux dire, avoir la disposition du bloc intérieur, c’est une chose. Mais ensuite, parce que cela a été imprimé dans Offset Printing House, renvoyé à nous avec ce fil jaune et bleu. La couverture, la partie rose, a de nouveau été conçue et envoyée à un autre atelier pour la sérigraphie. Avant la première copie, je ne savais pas à quoi cela allait ressembler. Je savais seulement ce que Gytis avait dit. Ensuite, le truc noir a également été acheté dans le magasin de papier, coupé, vous voyez ? Au bout du compte, tous les résultats finaux n’ont jamais été réalisés en un seul PDF, disons, mais dans un studio, pour être finalisés.

Louis Rastelli : Étais-tu content quand tu l’as vu?

Michel Campeau : Ouais, absolument, absolument. J’étais content de tout le processus de travail. C’est un cadeau, je veux dire, quand en tant qu’artistes, on offre quelque chose d’un artiste… j’aimais l’idée de jouer le jeu et d’accepter cette contrainte de leur donner carte blanche. J’avais fait ma part ; ma part, c’était mon travail. C’était l’écriture.

Louis Rastelli : Finalement, c’est un très bon partenariat.

Vilma Samulionytė : Je pense que oui ! C’était tout à fait naturel. Nous t’aimions bien ! Tu sais, nous t’avons rencontré. Nous avons eu quelques bonnes conversations et nous nous sommes dit : « Ce Michel est vraiment quelqu’un de très agréable. Peut-être devrions-nous regarder… »

Louis Rastelli : Et c’était lors de votre voyage en 2019 ?

Vilma Samulionytė : Oui, oui, oui. […] C’était en quelque sorte de bonnes vibes, tu sais ?

Michel Campeau: Et aussi le fait que les photographes sont intéressés par les éditeurs ! Ils veulent rencontrer des éditeurs. Parce que c’est très difficile – c’est des livres qui sont autos-publiées. Le livre d’artiste, le livre de photo est en progression fulgurante. Il y en a des exemples ici et tout le monde fait des livres. Tout le monde veut faire des livres. Tout le monde loue des tables, essaie de vendre leurs livres, promouvoir leur livres, tout ça, c’est manifeste.

Donc, évidemment, il n’arrive pas souvent qu’un éditeur veuille faire quelque chose avec mon travail.

Vilma Samulionytė : Nous avons la liberté, je pense, de faire ce que nous voulons. Et je veux dire que cela a pris du temps, vous savez, pour trouver l’idée finale. Par exemple, lorsque vous avez organisé votre exposition, j’ai pensé que nous pourrions faire le catalogue à ce moment-là, mais la quarantaine est arrivée. Il a donc fallu quatre ou cinq ans pour trouver une idée et choisir quelque chose dans vos archives. Mais les cartes postales étaient, je pense, le meilleur choix.

Michel Campeau : Moi, je vais continuer à collectionner les cartes postales en marge de mon travail. Je vais continuer à les collectionner. Ce n’est pas le cœur de mon travail, mais je vais continuer à les collectionner.

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